الأثنين. أكتوبر 7th, 2024

NOUR Mohammed Rida

Enseignant-Chercheur (HDR) à la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales de Fès-Maroc ;

Président du Centre marocain des études africaines et du développement durable.

Depuis plusieurs décennies les théoriciens libéraux¸ hostiles à la théorie de la « stabilité hégémonique », ont conçu une vision particulière de la coopération internationale. Pour eux , les relations économiques internationales n’ont point besoin d’un « hegemon » pour réguler les échanges internationaux. Ils estiment que les transactions commerciales multilatérales peuvent avancer par les seules vertus inhérentes de la coopération, puisque la transparence des négociations, l’accès à l’information, et la prédictibilité des agendas conduisent à une réduction de l’incertitude et des coûts de transaction pour l’ensemble des participants. « En vertu des principes du « Donnant-donnant » et de la « réciprocité diffuse », un État peut, dans un contexte de négociations multisectorielles, faire des concessions dans un domaine pour obtenir des gains dans un autre. Le caractère itératif de la coopération permet au perdant d’une négociation d’un jour d’escompter des compensations lors d’une rencontre ultérieure. Par ailleurs, selon cette approche libérale, il est possible de contenir le facteur puissance grâce aux règles, procédures et Institutions du régime, pourvu que celles-ci soient stables, neutres et légitimes » .
Quels sont alors les degrés de transposition de cette vision sur l’OMC ?
Dès les premières lectures des Accords instituant l’OMC, on s’aperçoit que ses principes fondateurs (réciprocité dans les avantages consentis, non-discrimination, Clause de la nation la plus favorisée, transparence, etc.) ont été inspirés de la théorie libérale du multilatéralisme. Une réalité qui a permis à certains libéraux de voire en elle un « parfait exemple de bonne gouvernance internationale» , surtout que « Désormais, chaque pays pèse du même poids théorique dans la décision finale, et l’ORD peut infliger des sanctions à ceux qui ne respectent pas les règles adoptées. On sort de l’arbitraire » .
Mais au-delà de cette image angélique, l’OMC a souvent fait l’objet de plusieurs critiques. En effet, en tant qu’Institution multilatérale, l’Organisation a eu le pouvoir d’innover dans plusieurs domaines puisqu’elle cumule, comme disait le grand spécialiste français Philippe COLOMBANI,les trois fonctions régaliennes en son sein, à savoir, « le législatif (elle édicte les normes du commerce mondial), l’exécutif (elle veille à la bonne application des engagements pris lors de l’adhésion), et le judiciaire (elle résout les conflits entre les Membres » .
Mais au lieu d’unifier, l’OMC a donc divisé et suscité toutes les critiques. Certains auteurs, comme COLOMBANI, estiment que l’origine de tous ces problèmes revient à la « jeunesse » de l’Organisation : « L’OMC subit une crise d’adolescence (…) qui est à la fois une crise de croissance du système et une crise de confiance dans le système » . Pareillement pour Marc LAFFINEURqui suppose que « L’OMC a été victime (…) d’une crise de jeunesse, doublée d’une crise de croissance » .Une crise qui est également perceptible dans les principales Organisations internationales (FMI, BIRD, ONU, etc.).
Ceci-dit, même parmi les critiques les plus engagées et les plus radicales, l’idée fait son chemin qu’une OMCdemeure indispensable pour la régulation du commerce international. Certains alter mondialistes ou ultralibéraux se réjouiraient sans doute d’une mort prématurée de l’OMC ; mais il est convenu qu’un commerce international même mal régulé vaut mieux qu’un commerce sans règle. En effet, « Il ne s’agit pas de déraciner la plante, mais de l’habituer patiemment à pousser dans une autre direction » .
L’idée de supprimer l’OMC ne résoudrait certainement pas les problèmes soulevés par une mondialisation sauvage mais inévitable, sauf si on considère – comme l’actuel Président américain Donald TRUMP et les milieux conservateurs – que le protectionnisme et les négociations bilatérales ou régionales sont des dispositifsmeilleurs et suffisants ! Ce qui nous paraît irréaliste et illusoire puisque, dans tous les cas, on aura quand même la libéralisation, avec encore moins de régulation et plus de d’arbitraireet d’iniquité pour les pays sous-développés.
Aujourd’hui, lenouveau départ du multilatéralisme devrait passer par une réforme organisationnelle et institutionnelle de l’OMC qui devrait affecter aussi bien le Secrétariat de l’OMC, le mécanisme des « Chambres vertes » ,la procédure de préparation des Conférences ministérielles, le procédé de Règlement des différends (ORD), mais aussi et surtout le principe du Consensus.
En effet, l’OMC est le garant des Accords commerciaux internationaux, mais aussi et surtout le cadre dans lequel ils se négocient entre ses Membres. Conscients de la complexité et l’importance de cette tâche et afin d’esquiver certains problèmes qui régnaient au sein de la plupart des Organisations internationales qui réunissaient des pays du Sud et d’autres du Nord, les rédacteurs de l’Accords de Marrakech ont instauré le système du « Consensus » comme modalité de vote au sein de l’OMC, afin de garantir un équilibre (au moins lors du vote) entre les différents Etats (Partie I). Un système, à priori, démocratique censé protéger les intérêts des Membres, surtout celles des plus faibles, mais qui se trouve aujourd’hui dans une situation assez délicate puisqu’il doit impérativement assurer la représentation de tous les États, sachant que les négociations multilatéralesentre 164États sont, généralement, soumises à une forte pression médiatique et à une présence accrue des ONG, ce qui rend la tâche des Membres asses complexe pour ne pas dire impossible. C’est pour cela qu’une réforme de la procédure, tout en préservant l’aspect démocratique de l’Organisation et les intérêts des PED, s’avère aussi bien indispensable qu’embrouillée (Partie II).


PREMIERE PARTIE : LES FONDEMENTS JURIDIQUE DU CONSENSUS

L’OMC est une « machine à négocier » . C’est essentiellement un lieu où les Etats se réunissent pour tenter de résoudre leurs problèmes commerciaux à travers la discussion. Ainsi, pour atteindre cet objectif et pour que les bénéfices de la mondialisation se traduisent, dans la réalité, par des profits plus au moins généralisés, il faut que les règles du jeu soient les mêmes pour tous et qu’elles aient été décidées par tous. C’est dans ce cadre-là que le « Consensus » a été instauré. Alors quelle est sa définition et sa portée juridique (Sous-partie I), et quels sont les avantages de ce principe (Sous-partie II) ?

Sous-partie I : Linéature du principe

Au sein de l’OMC, la prise de décision peut revêtir plusieurs formes, mais dans la majorité des cas, les Membres opèrent en se basant sur le principe du consensus qui signifie que rien n’est décidé tant que l’Accord ne s’est pas fait sur tout. Une pratique qui prévalait dans l’ancien GATT et qui a été reconduite dans les Accords de l’OMC.
Ainsi, nous pouvons lire dans l’article IX de l’Accord instituant l’OMC, que l’Organisation conserve « la pratique de prise de décisions par consensus suivie en vertu du GATT de 1947 ».
Néanmoins il faudrait distinguer entre deux formes de Consensus, utilisées et déployées par les Membres au sein del’OMC : le Consensus positif et le Consensus négatif.

Le Consensus positif signifie qu’une décision est prise si aucun pays ne s’y oppose formellement. Par conséquent, un Membre agissant seul peut facilement empêcher que la décision soit prise. Néanmoins, dans ce cas-là, le Consensus ne signifie pas approbation unanime : si aucun des Membres présents ne soulève d’objection, il y a consensus de facto. C’est plutôt la règle généralisée du droit de veto qui prévaut,puisque dans un Organe donné de l’OMC, la décision sera réputé avoir été prise par Consensus (donc sans vote) si aucun Membre, présent à la réunion au cours de laquelle la décision est prise, ne s’y oppose expressément.

Le Consensus négatif ou inverseindique qu’une décision donnée est automatiquement adoptée sauf si tous les Membres ne s’y opposent formellement. Donc, dans ce cas-là, un Membre agissant seul ne peut jamais empêcher que la décision soit prise, puisqu’il lui faut le ralliement et l’accord unanime de tous les autres Membres.
Dans la pratique, le Consensus négatif ou inverse (prise de décision automatique)se révèle moins compliqué que le Consensus positif (obligation de réaliser un compromis). Mais, en principe, les décisions sont prises au sein de l’OMC par consensus positif, alors que le consensus inverse fait figure d’exception étant donné qu’il n’est pratiqué que dans le cadre du système de règlement des différends de l’Organisation qui prévoit un tel procédé. Ainsi, nous pouvons lire dans 3-1 du Mémorandum d’accord sur le règlement des différends, que« lorsque l’ORD établit des groupes spéciaux, lorsqu’il adopte les rapports de groupes spéciaux et de l’Organe d’appel et lorsqu’il autorise des mesures de rétorsion, il doit approuver la décision à moins qu’il n’y ait un consensus contre son adoption (articles 6:1, 16:4, 17:14 et 22:6 du Mémorandum d’accord). Cette procédure spéciale de prise de décisions est communément dénommée consensus “négatif” ou “inverse” ».
Pour ce qui est des autres procédés, au sein des autres Organes de l’OMC, le principe demeure le Consensus positif. Ainsi, au sein des Organes spécialisés, tels le Conseil des services et les aspects du droit de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce international (ADPIC), le Conseil du commerce des marchandises, le Comité du commerce et du développement, etc. les divers groupes de travail, prennent leurs décisions par Consensus.
Le système repose, donc, de bout en bout sur l’exercice par les Membres d’une souveraineté pleine et quasi-intégrale. Tout est soumis à une acceptation préalable de tous, « Un sujet est débattu jusqu’à ce que tous les Membres soient d’accord sur la décision, ou au moins jusqu’à ce qu’aucun n’y soit opposé » . L’adhésion de nouveaux pays suppose l’accord des États déjà membres. Elle n’est pas de droit. De même que l’évolution juridique résulte de Traités négociés et conclus lors de Conférences ministérielles, sur la base d’un agenda fixé à l’avance par les États eux-mêmes, lors des mini-ministérielles, et adoptés selon le principe d’un vote égalitaire(Un Etat = Une voix). La possibilité existe donc, pour n’importe quel État membre, de bloquer et d’obstruer les décisions.

Ceprocessus décisionnel formel se démarque,donc, du mode de fonctionnementdes grandes Organisations internationales nées après la seconde guerre mondiale, dès lors qu’au sein du Conseil desécurité de l’ONU, le droit de veto est réservé aux cinq membres permanents,alors qu’au sein du FMI, le systèmede pondération des voix reflète les contributions financières des États les plus puissants,donnant aux États-Unis, par exemple, plus de 17 % des voix du fait qu’ils détiennent, en janvier 2016, 42,1 milliards de droits de tirage spéciaux (DTS) (environ 58 milliards de dollars).
Au sein de l’OMC, il n’y a pas de délégation des pouvoirs à un Conseil d’administration ou au chef de l’Organisation ; et c’est pour cela que ce système reflète plusieurs avantages.

Sous-partie II : Concrétisation du principe

Avant d’aborder ce volet, il nous parait utile de rappeler que l’Accord instituant l’OMC envisage quatre situations distinctes concernant la prise de décision. En effet :
1- Les membres de l’Organisation peuvent adopter, à la majorité des 3/4, une interprétation d’un Accord commercial multilatéral ;
2- La même majorité est exigée, au sein de la Conférence ministérielle pour accorder à un Membre une dérogation à une obligation prescrite par un Accord multilatéral ;
3- Par contre, les décisions qui concernent la rectification (et non pas l’interprétation) de dispositions des Accords multilatéraux peuvent être adoptées soit par tous les membres, soit à la majorité des deux tiers, selon la nature et la qualité de la norme considérée. Néanmoins, ces amendements ne applicables qu’à l’égard des membres de l’OMC qui les admettent ;
4- Enfin, les décisions concernant l’admission d’un nouveau Membre,au sein de l’OMC, sont adoptées par la Conférence ministérielle, ou par le Conseil général entre les réunions de la Conférence, à la majorité des 2/3.
Donc, abstraction faite de ces exceptions qui n’affectent pas le fondement des Accords de l’OMC, la plupart des décisions sont prises par Consensus.Et alors que les statuts de l’Organisationn’interdisent pas le recours au vote, ses Membres ont adopté la règle du consensus.D’ailleurs, dans la pratique le recours à la majorité est quasi-inexistant. Le fonctionnement décisionnel se base de facto sur le « Droit de veto généralisé » .
Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que les PED et les PMA se sont assuré un accès, au moins théorique, à des schémas de prise de décision qui furent partiaux, sectaires et exclusifs aux pays développés et qui sont toujours d’actualité au sein de plusieurs Organisations internationales.
Et contrairement à la règle de la majorité, le Consensus offre une légitimité plus forte à l’OMC, puisque le principe décisionnel est l’égalité des pays membres, quels que soient leur richesse, leur taille, leur population ou leur poids dans le commerce mondial. Les 164 États membres sont donc en principe placés sur un pied d’égalité, alors que seule une dizaine d’entre eux représentent 80 % des échanges internationaux, ce qui permet aux pauvres de contrebalancer la voix des riches et d’opposer leur veto à toute décision. Sur le plan de la procédure, cette réalité peut être assimilée au principe de « la nation la plus favorisée », qui garantit que les Etats les plus faibles commercialement puissent bénéficier, sans condition, des meilleures modalités d’accès aux marchés offertes par les pays les plus forts dans le cadre de l’OMC.
« Chaque pays détient une voix. Si les États disposent d’une force inégale dans le commerce international, comme dans le domaine économique et financier, la participation des États à l’OMC, à l’inverse de celle prévalant dans les Institutions de Bretton Woods, est fondée sur le respect de la souveraineté de chacund’entre eux » .
D’un autre côté, le Consensus est unenorme qui « devrait, en principe, simplifier les négociations en limitant la vraie négociation à des thèmes consensuels et ainsi mieux structurer les procédures en créant des groupes de négociation sur des sujets spécifiés » .
En effet, cette procédure permet à tous les Etats de veiller à ce que leurs intérêts soient, à juste titre, pris en considération tout en proposant des concessions dans l’intérêt supérieur du système commercial multilatéral.C’est d’ailleurs ce que précise le Professeur américain Ira William Zartman, en affirmant que l’agenda, adopté par consensus, peut également être interprété comme un engagement des pays membres à « mutualiser les offres et concessions sur chacun des sujets retenus, limitant ainsi les attitudes de « brakers » (freineurs) ou de « derailers » (dérailleurs) » .
Enfin, le consensus permet à l’OMC de se désengager de toute responsabilité puisqu’elle ne produit pas par, elle-même, le droit en dehors des Accords négociés et ratifiés de manière contractuelle entre les Membres. Par conséquent, ce principe exonère l’OMC du pouvoir de créer des normes, contrairement à d’autres Organisations internationales.
Cette absence de ce que l’on appelle « le droit dérivé » place cette Institution sous le contrôle étroit des États qui sont représentés dans tous les Organes dirigeants de l’OMC (la Conférence ministérielle, le Conseil général et les Conseils et Comités spécialisés). Ce sont aussi les États qui peuvent seuls accéder à l’ORD, alors que les entrepriseset les multinationales ne sont pas habilitées à engager une procédure contentieusedevant ce « Tribunal ».

Toutefois, cette description de principes très égalitaires est, au-delà du fait qu’elle soit contrariée par la réalité « Chambres vertes » , comme nous l’avons antérieurement expliqué dans un autre article, s’avère très limitée.


SECONDE PARTIE : ECUEILSET PROPOSITIONS DE REFORME

A première vue, comme nous venons de le préciser, la règle du consensus aurait dû réduire presque à néant la formation de coalitions qui visent, en principe, à obtenir une majorité, puisque chaque Membre dispose d’un droit de veto qui lui permet de faire obstacle à toute coalition, fut-elle majoritaire, mais derrière cette apparente harmonie, la règle du consensus dissimule, en effet, de profondes « asymétries que les coalitions visent justement à compenser ».
Le consensus est de plus en plus difficile à obtenir avec la participation de plus des trois-quarts des États du Globe, « Cela peut poser des problèmes de rapidité, et en tous les cas d’efficacité » , comme l’avais précisé l’ancien Directeur de l’OMC, le français Pascal Lamy (Sous-partie I), un problème dont la prompte résolution parait indispensable (Sous-partie II).

Sous-partie I : Les écueils

« Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est la paralysie de la fonction de négociation de l’OMC, qu’il s’agisse de l’accès aux marchés ou de l’élaboration de règles. Nous sommes confrontés à l’incapacité de l’OMC de s’adapter aux nouvelles priorités du commerce mondial, auxquelles on ne peut pas répondre par des accords bilatéraux », c’est ainsi que s’exprimait Pascal Lamy, lors d’une réunion informelle des chefs de délégation du Comité des négociations commerciales, le 26 juillet 2011, au sein de l’Organisation.
En effet, si on prend en considération les deux décennies écoulées depuis sa création, on constatera que l’OMC, phare du multilatéralisme commercial, n’a pas été en mesure d’embellir l’image des théories libérales, censées épauler les PED dans leur longue marche vers le développement. Ceci est dû, en partie, au changement juridique de la politique d’adhésion aux traités de l’OMC, puisque depuis le Cycle d’Uruguay, tous les membres de l’OMC sont devenus obligés de contracter ce qu’on appelle un « engagement unique », même s’il était assorti de périodes de mise en œuvre différentes . Donc, les Membres n’ont plus la possibilité de s’abstenir lorsque de nouvelles règles ou de nouveaux Accords sont négociés. Ce changement pèse maintenant beaucoup sur les gouvernements des PED et a manifestement influé sur leurs façons d’envisager les négociations au sein de l’OMC, puisqu’ils sont devenus beaucoup plus méfiants qu’auparavant, et le consensus est devenu presque une mission impossible.
En fait, malgré ses avantages, le Consensus ne convient pas à des négociations commerciales très complexes et assez alambiquées. Il faudrait développer des modes alternatifs de décision plus efficaces, tout en préservant l’équilibre entre les différents pays concernés. Ce principe « incontestable » et presque sacro-saint est devenu un véritable fardeau qui bloque les négociations, vu l’interaction des 164 États membres, mais surtout de plus en plus organisés et de plus en plus jaloux de leurs intérêts. La preuve c’est que depuis la création de l’OMC en 1995, aucun véritable Accord multilatéral n’a été approuvé alors que, parallèlement, le nombre de Conventions régionales et bilatérales a bienexplosé. Ce qui laisse croire que la libéralisation des échanges est en train de s’orchestreren dehors d’une l’OMCqui s’est résigné, vraisemblablement, à surveiller les politiques commerciales et arbitrer les conflits, plutôt que de réduire les inégalités entre les Membres.
Ainsi, à titre d’exemple, le « consensus s’est avéré hors d’atteinte sur les quatre principaux thèmes que les PMA souhaitaient traiter, à savoir : un accès aux marchés en franchise de droits et sans contingent pour leurs exportations, une dispense spéciale pour les PMA dans le domaine des services, un « pas en avant » sur le coton et une amélioration des règles d’origine. De même, les puissances commerciales ne sont pas parvenues à trouver un accord sur le nombre croissant de questions « non PMA » proposées, dont l’étendue allait des subventions au secteur de la pêche à la facilitation du commerce et à la concurrence à l’exportation » .
En réalité, dans la pratique« les pays les plus riches peuvent plus aisément prendre les discussions en otage que les pays pauvres, car ils sont en mesure de mieux résister aux pressions politiques en faveur d’un consensus, ceci même face à une forte opposition » .Et si un tel procédé peut en principe favoriser le compromis en concentrant l’attention des négociateurs sur les gains les plus importants, il « s’avère qu’en pratique les membres tendent à mettre davantage l’accent sur les pertes » , ce qui engendre la paralysie de tout le processus et par lamême de certains Accords, censés réunir facilement le Consensus mais qui ne peuvent être exécutétant que les membres continuent de relierle vote à d’éventuelles avancées dans d’autres secteurs.
D’un autre côté, il ne faudrait pas oublier que la définition du consensus favorise les Membres qui ont les moyens d’être représentés à toutes les réunions, puisque les absents ou les abstenants ne peuvent faire obstacle au consensus. Et nous imaginons bien que la présence et l’assiduité sont loin d’être le point fort des PED.
Aussi, lorsque les Membres savent que le consensus est la seule voie qui s’offre à eux dans certaines situations, ils ne cherchent même pas à obtenir des avancées dans le cadre de l’Organisation. C’est pour cette raison que, la majorité des décisions envisagées par les pays développées est assez souvent élaborée à l’avance dans un cadre informel. Une proposition formelle n’est habituellement soumise à un Organe décisionnaire que s’il est clair qu’elle peut faire l’objet d’un consensus.
Donc, le système du consensus censé protéger les PED les condamne plus qu’autre chose. Et lorsque la « rigidité conventionnelle » s’installe et le processus de prise de décisions devient complètement obsolète, les membres de l’OMC préfèrent, soit d’« aller voir ailleurs » et à établir des Accords bilatéraux ou des Institutions en dehors du cadre de l’OMC, soit de recourir à d’autres procédés et d’autres instances pour régler certaines situations. Dans le contexte de l’OMC, le système de règlement des différends se substitut, assez souvent, aux procédés diplomatiques et certaines questions qui devraient être tranchées à travers les négociations ou bien à l’issue d’un processus diplomatique ou « législatif » deviennent plutôt soumises à un système juridique, qui ne convient peut être pas à certaines situations. Alors comment peut-on résoudre ce problème ?

Sous-partie II : Propositions de réforme

Plusieurs solutions peuvent être envisagées afin de remettre l’OMC sur les rails de l’équité. Les PED ne sont plus en mesure de supporter les contraintes d’un libéralisme excessif, dépourvu de filets de sécurité et dont les règles sont façonnées au sein d’un Organisation où ils représentent la grande majorité, en terme de nombre mais aussi de richesse, alors que « Sur la balance de la mondialisation, une tête d’enfant du tiers-monde pèse moins lourd qu’un hamburger », comme dit FatouDiome.
Réellement, le Sud, au sein de l’OMC, est considéré accessoirement Membre et manifestement étrangers. Une réalité qui ne figure pas dans les Accords de l’Organisation mais qui se révèle à travers les attitudes péremptoires du Nord, d’où la nécessité d’opérer plusieurs réformes en commençant par la règle du Consensus.

Pour le faire, plusieurs suggestions ont été avancées par plusieurs observateurs, dont les plus importantes sont les suivantes :
1- Certains proposent une solution quasi-radicale qui consiste à créer un Conseil composé de 20 ou 40 membres, la moitié serait des Membres permanents, choisis selon leur poids dans le commerce international, alors que l’autre moitié représentera, à travers un système de délégation des pouvoirs, le reste des États membres. « Le FMI comme la BIRDont un Conseil d’administration chargé de donner des instructions aux administrateurs de l’Organisation, où siègent en permanence les principaux pays industriels, qui disposent d’un droit de vote pondéré. L’OMC devra se doter d’une structure comparable pour être efficace » . Une telle suggestion mettrait en avant le principe du « vote pondéré » dont le calcul serait basé sur la part que représente chaque Membre dans le commerce mondial, son PIB, son degré de libération de son marché, et parfois même la taille du pays en question ou de sa population.
Cependant, une telle procédure remettrait en cause le principe le plus fondamental de l’OMC à savoir l’égalité entre tous les États (un État = une voix). D’autant plus que les expériences du vote pondéré au sein du FMI et la BIRD montrent que cette option n’a pu qu’aggraver les dissymétries de pouvoir et perpétuer les déséquilibres entre le Nord et le Sud.
2- D’autres personnes, moins radicales proposent de se référer aux autres modalités de vote prévues par l’Accord de Marrakech , à savoir les majorités spécifiques dans certaines situations bien précises. Le problème c’est que –comme nous l’avions précédemment précisé- depuis la création de l’OMC, la pratique du Consensus a pris le pas sur le vote. Il est donc inconcevable d’imaginer des concessions de la part des États, surtout développés, étant donné que les PED disposent d’une grande coalition, en terme de nombre.
Ceci-dit, une solution intermédiaire pourrait être adoptée. L’idée serait d’établir une certaine classification des différents types de décisions au sein de l’OMC. On pourrait ainsi distinguer entre les décisions ayant trait à de simples questions de procédure et celles qui sont susceptibles d’apporter une véritable modification à l’esprit même de l’Accord. Si pour ces dernières le principe du Consensus devrait être conservé, pour la première catégorie de décisions, le recours au vote (majorité) serait suffisant. Ce qui nous parait assez rationnel, puisque les questions de procédure n’affectent pas la structure économique ou sociale des pays membres et elles n’apportent aucunemodification à l’esprit même de l’Accord.Donc, un assouplissement des procédures de prise de décision, pour ce genre d’affaires, semble être un moyen assez efficace capable de débloquer plusieurs champs et économiser les temps de négociations.Néanmoins, malgré sa pertinence, cette solution demeure insuffisante pour pouvoir décoincer la situation au sein de l’OMC.
3- Une autre suggestion a été mise en avant par le « Conseil consultatif de l’OMC » qui a proposé aux Membres de l’Organisation de faire adopter une Déclaration aux termes de laquelle un Membre qui envisage de bloquer une mesure qui réunit par ailleurs un très large Consensus ne pourra faire obstacle au Consensus que s’il déclare par écrit, en exposant ses motifs, que la question revêt pour lui un « intérêt national vital ». Une telle suggestion nous semble entièrement raisonnable. Robert Sabatier ne disait pas que « S’opposer n’est autre que proposer. Une opposition sans proposition n’est qu’un mouvement d’humeur ». ? Dans un tel contexte les opposants à certaines décisions seraient donc contraint, soit de proposer une alternative rationnelle et effective, soit de justifier leur position d’opposition, pour éviter les sautes d’humeur et les réfutations, parfois, gratuites ou manigancées de certains pays-membres.
4- Enfin, une dernière proposition consisterait à considérer que la géométrie variable qui règne au sein de l’OMC pourrait laisser progresser la philosophie des « Accords plurilatéraux ».Dans ce cas-là, pour conclure un Accord, la participation de tous les membres de l’OMC n’est pas indispensable. De plus, les autres membres gardent la liberté de se joindre à la négociation ou non.
En effet, au sein de l’OMC les obligations et les intérêts des Membres sont assez disparates,selon les niveaux de croissance et la spécificité des économies. Cette situation pourrait comporter certains avantages puisque certains Membres pourraient choisir de contracter plus ou moins d’obligations, avec la possibilité de leur accorder, ou non, un effet exécutoire dans le cadre du mécanisme de règlement des différends. D’ailleurs, cette possibilité a déjà été prévue dans le cadre de l’Annexe 4 de l’Accord sur l’OMC . Le problème c’est que cette idée n’a pas été approuvée par certains intéressés, en l’occurrence le Conseil consultatif de l’OMC qui s’était montré assez réservé étant donné qu’il considère que le rétablissement d’une OMC à deux vitesses n’est pas nécessairement la meilleure solution pour relever les défis.
En effet, le Conseil avait avancé l’idée des Accords plurilatéraux, tout en restant méfiant pour les raisons qu’on vient de citer et de peur que cette approche ne puisse générer des clivages au sein de l’OMC et par conséquent, de faire régresser le système commercial multilatéral plutôt que de le faire avancer.
Toutefois, nous estimons que, comme le dit l’Abbé Pierre « Il ne faut pas attendre d’être parfait pour commencer quelque chose de bien ». Certes, l’idée des Accords plurilatérauxest imparfaite mais elle nous parait nécessaire et très urgente si on veut délivrerl’OMC de certaines de ses obstructions. Une telle réforme permettrait certainement aux différents membres de l’OMC qui le souhaitent de négocier des engagements plus ambitieux, puisque les négociations pourraient couvrir un vaste programme de travail ou porter sur un seul thème entre certains Membres.
Il suffit que ces Traitésplurilatéraux aient la qualité juridique d’« Accords ouverts » pour permettre aux pays qui n’avaient pas participé aux négociations de garder la possibilité d’y adhérer à une étape ultérieure. Ainsi, les Membres qui ne se sont pas engagés garderaient la possibilité d’y prendre part aux négociations tout en conservant la faculté de se retirer s’ils jugeaient les résultats inadéquats.
Rappelons à cet effet qu’au sein de l’OMC un État membre dispose toujours de l’option de se dérober à l’application d’un engagement qu’il a préalablement souscrit à l’OMC puisqu’on considère que, comme dans tout contrat, chaque contractant dispose de la totalité de sa liberté individuelle. Néanmoins, cette liberté n’est pas sans limites vu que cette soustraction peut avoir un prix qui se résume dans les principes de compensation et de rétorsion qui sont autorisés par l’OMC. Ainsi, si un État décide de se retirer d’un engagement d’ouverture de son marché (retrait de concession) ou refuse l’exécution d’une sentence de l’ORD, il sera contraint d’octroyer aux parties lésées une sorte de dédommagement d’importance commerciale similaire. Faute de quoi, il risque de voir l’OMC autoriser ses partenaires lésés à lui extirper une concession de même envergure, et dans un dernier stade, si la compensation n’est pas honorée, lui infliger des sanctions sous forme de mesures de rétorsions.
Néanmoins, cette logique (compensation puis rétorsion), doit être assouplie et allégée dans le cadre des Accords plurilatéraux, surtout pour les PED qui bénéficient, en principe, d’un statut dérogatoire au sein de l’OMC.
Une telle approche pourrait avoir l’avantage de dissuader les grandes puissances de l’OMC de s’engager sur d’autres voies qui pourrait réduire cette récurrente tentation d’aller vers des arrangements commerciaux bilatéraux ou régionaux, au détriment des intérêts des pays du Sud. En effet, avec la progression de la mondialisation, l’OMC devrait se transformer en une sorte de « Laboratoire unique » pour les négociations multilatérales, tout en assurant une certaine équité entre les différentes composantes de l’Organisation qui passe, nécessairement, par une protection plus équitable des Membres les plus vulnérables.

Enfin, inutile de rappeler ici que l’OMC, en tant qu’enceinte de négociation, n’a pas de pouvoirs propres analogues à ceux du FMI ou de la Banque mondiale. Donc, « L’OMC ne doit être ni diabolique, ni idéalisée. En effet, ce n’est pas une instance supranationale qui imposerait mécaniquement ses lois aux peuples : elle n’édicte pas de règles, mais fournit le cadre dans lequel les États en décident » . Donc, contrairement à la réputation qui lui est souvent faite, ce n’est pas l’Organisation elle-même qui promeut une idéologie particulière ; « Ce sont les stratégies de négociation des États qui dessinent la physionomie de l’Organisation, et non l’inverse » . L’OMC n’en a ni les moyens, ni la mission, car elle reste contrôlée étroitement par les États membres qui sont tous, au moins théoriquement, sur un pied d’égalité.C’est donc moins à l’OMC qu’à ses Membres qu’il faut « s’en prendre », quand il s’agit de dénoncer certaines des règles qui s’appliquent. C’est pour cette raison que la réforme de l’OMC doit être menée par les États membres eux-mêmes, afin d’assurer une amélioration de son fonctionnement et une réorientation de ses objectifs, sur lesquels le Sud entend peser.
Il ne faudrait surtout pas perdre de vu que si les PED ont tenté, à maintes reprises, d’obstruer l’élaboration de plusieurs Accordsau sein de l’OMC c’est parce qu’ils n’ont pas les moyens d’exécuter de nouveaux engagements ultralibéraux qui risquent de ruiner leurs économies et anéantir leurs tissus socio-culturels. C’est pour cette raison que nous estimons que les Membres devront veiller collectivement à ce que des dispositions et des périodes de transition plus appropriées soient prévues, et qu’un soutien davantage adéquat soit accordé pour le renforcement des capacités afin de faciliter la mise en œuvre des Accords.

[1] Déclaration de François HUWART, ancien Secrétaire d’État français au commerce extérieur, lors de la Déclaration du gouvernement sur la préparation de la Conférence ministérielle de l’OMC à Seattle. [1] ABBAS Mehdi, « L’économie politiquede l’agenda de l’Organisation mondiale du commerce ». In.,« AFRI », Vol. III, 2002, p. 7.

By Zouhour Mechergui

Journaliste